Psychologue à Quimper
Premier de mes mémoires (maîtrise 1998), L'énigme d'Alexandre (son titre initial) marque, dans une conversation à bâton rompu, une découverte personnelle du sujet de l'inconscient au travers de ce que j'ai voulu considérer comme une formation de l'inconscient, un trait d'esprit.
Du coup, ce mémoire se lit comme une Odyssée, et traverse les rudiments de la linguistique et des structuralistes ( signe, signifiant, signifié , la valeur linguistique... - Ferdinand de Saussure - , la structure combinatoire et substitutive du langage - Roman Jakobson - ), les concepts psychanalytiques (j'y distingue notamment représentation de chose et représentation de mot, les mécanismes de condensation et de déplacement - Sigmund Freud - , la théorie du point de capiton et la découverte du lieu de l'Autre - illustré dans la dialectisation de "L'énigme de la Sphinge" ou Sphinx , cf. Oedipe Roi - , et enfin les concepts de métonymie et de métaphore - Jacques Lacan - ).
Il y est bien sûr question du transfert, ce transfert n'étant pas encore véritablement perçu sur son mode opératoire.
Enfin, en guise d'invitation au "voyage", je retranscris l'introduction de ce premier mémoire qui présente le fameux trait d'esprit, ainsi que sa conclusion...
Le travail auprès de la maladie mentale réserve parfois de véritables rencontres. Pour peu que le lien avec une personne soit propice à l'écoute, une simple phrase peut produire un tel effet de sidération, qu'à elle seule, elle est une raison suffisante d'une recherche entière consacrée à son sujet. Une seule confidence, et c'est la chaîne entière de la demande qui s'enroule au désir.
Nous pensons, très exactement, avoir vécu une telle situation qui, de surcroît, nous a plongé dans un véritable questionnement de l'inconscient.
Le caractère proprement singulier de cette confidence - qui a pris pour nous la forme d'une devinette, et révèle très certainement notre attachement envers le patient qui nous l'a racontée - nécessite pour être restituée que nous utilisions l'écriture phonétique, seule à pouvoir rendre compte des équivoques du langage oral.
Ainsi, dans la nonchalance d'une marche à pieds, Alexandre, un jeune homme en soin dans un centre de psychothérapie institutionnelle, nous invita à réfléchir sur ceci :
Comment s'écrit [letrwaso] ?
Pour finir, comme nous n'avions pas de solution, il nous donna comme réponse celle qui qualifie la maigreur de l'idiot désarçonné par son âne :
Ce grand pied de nez fait à la syntaxe recèle quelque chose de stupéfiant : la solution, bien qu'elle réconcilie les homophonies de la phrase, n'en élide pas moins une impossibilité logique.
C'est justement sur l'étude de cette élision que nous nous proposons d'établir notre mémoire de recherche en maîtrise de psychologie pathologie, et plus particulièrement, sur les mécanismes de condensation et de déplacement découverts par Freud comme inhérents aux formations de l'inconscient, et sur les concepts de métaphore et de métonymie élaborés par Jacques Lacan.
De cette courte devinette, il ressort, en effet, plusieurs interrogations.
D'une part, que la structuration du discours impliquerait une "phase d'écriture", soit une ponctuation pour lier un signifié à un signifiant et produire un effet de signification. Ce qui, dans le même temps, indique que le sens glisse, et que le discours ne saurait être autrement que polysémique.
D'autre part, qu'une articulation signifiante, tout en étant soumise au contingent du sens, ne saurait tout dire, mais en dit sûrement davantage que son énoncé ne le laisse entendre au point où il est formulé.
Elle instruit aussi sur une distinction radicale qui implique que le mot ne peut être l'équivalent, non seulement du réel de la "chose nommée", mais encore de sa réalité. Ainsi, il semblerait que même ce qui est innommable n'est pas du "réel", et qu'il existe un recouvrement imaginaire structuré par l'ordre symbolique de ce "réel", lui, intouchable.
Nous espérons donc, en traversant les pensées lacanienne, et freudienne - dans ce qu'elles peuvent nous éclairer et nous conduire - mieux parvenir à repérer les effets du langage sur le "parlêtre", et pourquoi pas, déceler le désir d'Alexandre qui nous a confié son historiette dans un moment de travail institutionnel.
Pour ce faire, nous essaierons d'entrevoir - d'abord avec le concours de quelques concepts linguistiques, puis en perçant plus avant grâce aux théories psychanalytiques - ce qui permet qu'un énoncé prenne sens, ce qui rend possible d'en comprendre quelque chose et de produire des significations.
Ensuite, nous préciserons quel tiers terme est convoqué par cette devinette, et comment elle introduit l'idée d'un manque dans l'être, et par-là, la notion de sujet et de celle de l'Autre dans ce qu'ils ont d'irréductible.
Ceci nous mènera au lieu véritable de l'énigme, qui ressort de la devinette d'Alexandre, pour ce qu'elle a de proche d'avec la formation de l'inconscient qu'est le mot d'esprit tel que Freud en a établi les coordonnées par les mécanismes inconscients de la condensation et du déplacement.
Nous pourrons alors discuter de l'ouverture lacanienne liée aux deux mécanismes précités, à savoir, l'introduction des concepts de métaphore et de métonymie pour ce qu'ils préfigurent de la structure du sujet impliqué dans le langage, et dans la création des effets de sens.
Dans notre intention première d'étudier l'articulation du sujet au langage et son évanouissement dans l'inconscient, par le truchement d'une devinette dont nous faisions notre fil d'Ariane, nous avons progressivement abandonné notre discussion des concepts théoriques pour y préférer un questionnement de plus en plus pressant au sujet de notre cas clinique. Notre objectif de traiter de la métaphore et de la métonymie au regard des mécanismes de la condensation et du déplacement s'en est trouvé d'autant détourné.
Cependant, aurons-nous essayé de circonscrire quelques concepts psychanalytiques par leur application directe - même si cela nous a conduit à les définir de façon isolée, sans avoir pu les faire résonner entre eux.
Notre réflexion sur le thème de la signification - tout en continuant de s'appuyer sur la linguistique de Saussure -, nous a mené au produit de la métaphore paternelle par quoi émerge la signification phallique. Ce fut pour nous l'occasion de préciser le concept de signe linguistique en isolant sa face signifiante et sa face signifiée ; d'emprunter des notions comme le point de capiton pour figurer l'intentionnalité du sujet, ses effets prospectif et rétroactif sur la segmentation de la chaîne signifiante.
L'idée d'intentionnalité nous a frayé la voie jusqu'à sa forme métonymique. Forme frénétique et inconsciente, où le sujet cherche inlassablement l'objet qui a chu avec son avènement au langage. Le désir y a pris ses marques de toujours rater l'être dans l'entre-deux des signifiants. Seulement produit-il davantage d'objets substitutifs pour s'en aveugler.
Au surplus de l'effet de l'objet cause du désir, le désir s'est aussi vu attribuer des mobiles inconscients ou préconscients, favorisant la création de formations de l'inconscient. Freud nous a appris que ces mobiles n'apparaissent pas tels quels dans les productions que sont les mots d'esprit et les rêves, par exemple. Ils se profilent déguisés, omis, etc., parce qu'investis par le processus primaire qui leur fait subir des déplacements et des condensations, seuls mécanismes autorisant le passage de la censure.
Or, il arrive que le désir conduise le sujet vers une impasse. Ce que le sujet met alors en uvre procède d'une métaphore : Un substitut réactionnel, ou symptôme, prend la place d'un signifiant qui d'être refoulé, insiste pour s'y signifier.
De tout ceci ressort une différence fondamentale entre énoncé et énonciation. Ce que dit le sujet n'est pas équivalent à son dire. Les formations de l'inconscient, dont nous nous sommes servi, illustrent ce fait de l'existence d'un au-delà de l'énoncé. Tout énoncé est surdéterminé par une multiplicité d'autre discours, et c'est par ce biais que nous avons découvert l'inconscient freudien. Le pistage des mécanismes du processus primaire servant assez la thèse de pensées hors du champ de la conscience, de pensées appartenant à un autre lieu.
Cet autre lieu, dont il nous fallait nous assurer et dire ses implications dans la constitution du sujet, ce concept majeur de grand Autre, qui divise et aliène le sujet, a été l'occasion d'y voir un peu plus clair entre symbolique et imaginaire. Il a trouvé sa place dans ce qu'avec Lacan, nous voulions dire de la communication intersubjective.
Enfin, notre étude se sera longtemps encombrée d'un souci de diagnostic, que nous avons expliqué par la promiscuité du symptôme d'Alexandre d'avec la phénoménologie des psychoses et des perversions. Phénoménologie s'actualisant respectivement, dans la question d'une quête de reconnaissance du père, et dans la répétition d'actes violents à caractère sexuel envers les femmes. Notre démarche s'inspira donc de la lecture de Freud par Lacan, pour qui l'inconscient est un fait de langage, et comme tel ne peut se comprendre qu'à en analyser sa structure.
Nous avons pris notre parti de cet enseignement pour exploiter le peu de clinique qu'il nous restait des dires d'Alexandre.
Que ce soit au sujet de l'énigme et des concepts qu'elle nous a permis d'aborder, que ce soit à propos du désir ou du symptôme d'Alexandre, assurément le terme de conclusion est impropre à achever notre mémoire. Ce devrait être au contraire - maintenant que nous avons en partie éclairé la clinique d'Alexandre, et parcouru sommairement la théorie psychanalytique -, une invitation à poursuivre le travail auprès de lui. Mais l'interprétation possède un temps propre (logique). Ce moment raté, la relation transférentielle avec Alexandre rompue, nous laissons à Alexandre sa liberté de jouer avec les mots, de vibrer aux mélodies de Francis Cabrel... et de poser des questions.