La démence sénile selon Jean Maisondieu

Jean Maisondieu questionne le fondement d'une maladie (Alzheimer), de sa psychogenèse intra et inter individuelle.

Il dénonce des mécanismes de refoulement généralisés et sollicite notre réflexion pour que le soin ne soit pas une participation disqualifiante à légitimer l'aveuglement, les mises à distance, et les impasses que nous oeuvrons à construire collectivement.

Le livre qui a motivé ce cours : Le Crépuscule de la raison

Couverture du livre Le Crépuscule de la Raison   Couverture verso du livre Le Crépuscule de la Raison

Introduction à la théorie de Jean Maisondieu

Cours sur L'approche psychodynamique de la démence selon Jean Maisondieu

« Ce que l'autre (disqualifié en malade) nous enseigne sur notre positionnement professionnel. »

Il faut se réjouir qu'à l'Institut de Formation en Soins Infirmiers de Quimper soient proposées les théories de Jean Maisondieu. Les théories de Jean Maisondieu, pour peu qu'on ne les prenne pas à l'envers, sont de fait tellement subversives que les enseigner ne va pas de soi !


Les théories de Jean Maisondieu sont au carrefour du médical, du psychologique, et du sociologique. A la croisée de l'intra-psychique, de l'inter-psychique, et du sociétal. La révélation des mécanismes construisant notre réalité sociale et l'articulation de leur déconstruction au regard de notre responsabilité d'humain, cela ambitionne d'une visée politique en même temps que d'une introspection de l'acte individuel : De quelle place agissons-nous ? Et jusqu'à quelle latitude pouvons-nous, en tant que professionnel du soin, en tant que (oserais-je dire) professionnel de la rencontre, oeuvrer à subvertir un système qui s'alimente de nos propres manoeuvres à exclure et à normaliser cependant que nous nous efforcerions à répondre à une demande de soins ?


Car l'oeuvre de Jean Maisondieu paraît s'organiser autour de ces trois mouvements fondamentaux :


  1. Dans un contexte de déni de fraternité (inconscient ?), notre aptitude intra-individuelle à l'individualisation passe par la tentative de nous désaliéner de l'autre semblable.
    Soit en exacerbant la différence (Il ne saurait exister une ressemblance entre moi et l'autre malade ; Lui est anormal, moi normal, etc. .).
    Soit en le supprimant d'une manière plus ou moins radicale et consciente. (Construire et enfermer l'autre dans une nouvelle identité : en faire un malade désigné comme tel par l'instrumentalisation de la science).
  2. Cette opération se réalise à la manière d'un retour du refoulé, en l'occasion en prétextant des causes conjoncturelles afin de diluer dans la masse ce qui revient éthiquement d'une responsabilité inter-individuelle.
    Les sentiments de honte et d'abjection pour l'autre perçu uniquement comme défaillant, dissemblable, sont refoulés et réapparaissent dans des sentiments déguisés, davantage propices à un semblant d'apaisement des relations sociales, de compassion excessive, de charité, ou d'une attention institutionnalisée au travers du soin médical.
  3. L'acuité de Jean Maisondieu dépassant le traditionnel clivage psychiatrique du normal et du pathologique par son usage des théories systémiques.

Il me semble que la théorie de Jean Maisondieu s'appuie sur ces trois pivots : Une lecture systémique d'un déni de se reconnaître semblable dans la famille des hommes, et d'éluder l'existence de ce déni en l'organisant de façon sociétale ; Pour ce qui concerne ce cours (sur la psychodynamique de la démence), en prenant appui sur une vision exclusivement biologique de la maladie. C'est-à-dire en évacuant les aspects intra-individuels de la psycho-génèse de la démence, et surtout les causalités inter-individuelles propres aux interactions d'une société, voire d'un discours social construit par tous pour tenter de se soustraire à l'inéluctable.


Pour s'en rendre compte, ici vaut la peine de faire l'inventaire de la bibliographie de Jean Maisondieu, car les titres sont évocateurs :


  • Les hommes politiques n'ont pas d'enfant, en collaboration avec J. Baguenard et L. Métayer, PUF, Paris 1983.
  • Les thérapies familiales, en collaboration avec L. Métayer, PUF, Que sais-je ?, Paris, 1986.
  • Le crépuscule de la raison, Centurion, 1989. (L'ouvrage qui nous réunit aujourd'hui).
  • Les alcooléens, Bayard Editions, Paris, 1992.
  • L'idole et l'abject, Bayard Editions, Paris, 1995.
  • La fabrique des exclus, Bayard Editions, Paris, 1997.
  • Liberté, égalité... psychiatrie, Bayard Editions, Paris, 2000.

Que la rédaction d'une synthèse sur les thérapies familiales pour la collection Que sais-je ? aie été confiée à Jean Maisondieu indique sa grande maîtrise des théories systémiques et sont appartenance vraisemblable pour ce champs de la psychothérapie.


Qu'un ouvrage s'intitule l'idole et l'abject souligne encore l'importance pour Jean Maisondieu de la problématique narcissique dans son approche des relations intersubjectives. De l'idée d'une matrice qui cantonne la personne dans des relations imaginaires qui lui rendent inaccessible la dimension radicale de l'altérité et de la subjectivité.


La fabrique des exclus est une amplification de la démonstration faite pour les déments, et une généralisation de ce qui caractérise pour Jean Maisondieu le déni de fraternité. C'est quasiment le maître mot d'une dénonciation de notre faillite contemporaine à rejeter l'autre en même temps qu'à nous déshumaniser.


Car enfin, la perspective de Jean Maisondieu est clairement humaniste (et non humanitaire !), et sollicite le politique comme le citoyen dans sa responsabilité de tous les jours.


C'est d'ailleurs la diachronie de la pensée de Jean Maisondieu à regarder la chronologie des thèmes de cette bibliographie :


  1. Un sentiment initial d'un décalage entre politique et perspectives d'avenir.
  2. La synthèse d'une approche systémique pour rendre compte d'une synergie des responsabilités individuelles et collectives.
  3. Une première analyse systémique de la situation d'une frange de la population, les alzheimeriens. Puis d'une autre frange les alcooléens.
  4. Une synthèse des particularités intersubjectives mises à l'épreuve dans l'approche des populations reléguées à l'abject.
  5. La refonte et l'approfondissement de ces paradigmes conceptuels avec l'exergue du mécanisme intra-psychique de l'exclusion.
  6. Ce qui tend à questionner les rôles politiques des travailleurs médico-psycho-sociaux dans leur participation à un système tautologique, voire totalitaire transmutant la devise républicaine « Liberté Egalité Fraternité » en dépendance inégalité solidarité !

Ce cours va donc être l'occasion d'une mise au point épistémologique, que suscite la lecture de la pensée de Jean Maisondieu au travers des démences séniles. Mise au point qui relance les questionnements du fondement d'une maladie, de sa psychogenèse intra et inter individuelle ; qui dénonce des mécanismes de refoulement généralisés ; et enfin pour notre propre gouverne de soignant qui sollicite notre réflexion sur ce que ne devrait pas être le soin, une participation disqualifiante à légitimer l'aveuglement, les mises à distance, et les impasses que nous oeuvrons à construire collectivement. En pratique et en exergue, cette mise au point incite à rendre nécessaire l'analyse quotidienne de la pratique soignante pour qui veut en faire son métier en assumant une authentique responsabilité de sa démarche.

Bibliographie